Jour 16. Couvrez ce (des)sein que je ne saurais voir* – ou ma vaine quête du tatouage parfait

Cachez ce (des)sein que je ne saurais voir ou ma veine quête du tatouage parfait.Je suis une femme tatouée.

Bon, ça peut paraître aujourd’hui bien banal de dire ça.

Mais, si vous m’aviez rencontrée il y a quelques années à peine, vous n’auriez pas cru que j’oserais dire ça un jour!

Car voyez-vous, j’ai toujours eu une relation ambiguë avec les tatouages. Un mélange de fascination et de rejet. Et ce, depuis mon enfance.

Mais en 2019, à la veille de mes 45 ans, j’ai enfin osé me lancer: je me suis fait tatouer pour la première fois à vie.

La renarde à 9 queues que je suis avait beau avoir expérimenté un tas de choses plus folles et intrépides les unes que les autres, je n’avais jamais encore osé me faire injecter de l’encre sous l’épiderme.

À 44 ans, mon corps était encore vierge de tattoo.

Et quant à me lancer dans cette fabuleuse expérience, je n’y suis pas allée de main morte!

En l’espace de 6 mois, je me suis retrouvée avec quatre tatouages distincts! (Dont ce magnifique Kumiho, posant fièrement sur ma cuisse droite, fait en Corée du Sud, et qui sert d’avatar à ce blogue.)

Tatouage de Kumiho

Crise de la quarantaine?

Qui sait?

Le moins que je puisse dire, c’est que j’avais du rattrapage à faire, il faut croire! Ha! Ha! Ha!

Pourquoi ai-je attendu aussi longtemps avant de me faire colorer la peau me direz-vous?

Laissez-moi vous raconter…

Je me souviens très clairement de ma première rencontre avec le tatouage.

J’étais enfant, en 4e année primaire, je crois (CE2 pour mes lecteurs et lectrices de France). Dans notre classe, il y avait un petit nouveau. Il se prénommait Steve, si je me souviens bien. Et, sur son bras, il y avait une petite encre marine avec un cœur rouge au-dessus et son nom en dessous.

C’était en 1984. Ou 1985, peut-être.

Mais pour les villageois que nous étions, les seuls tatouages que nous avions vus à l’époque, c’était à la télé, dans des films de gangsters ou bien aux nouvelles, sur les bras de motards.

Quant aux enfants que nous étions, les seuls tatouages que nous avions vus en personne étaient les temporaires amusants.

Vous vous en souvenez? Ceux que l’on trouvait dans les boites de Cracker jack ou dans les enveloppes de gomme balloune. On se les collait sur la peau avec de l’eau et le tour était joué!

Voir un petit garçon de notre âge porter un tatouage PERMANENT, vous comprendrez que c’était toute une curiosité pour nous.

Surtout qu’il était sur le bras d’un petit gars dont on ne savait pas grand-chose sur son passé, puisqu’il venait d’ailleurs.

D’autant plus qu’il était un peu bizarre : il était le seul de notre classe à ne pas assister à la classe de catéchisme et devait chaque fois sortir de la classe pour aller suivre un cours de morale.

Bref, malgré le fait que nous avions un tatoué parmi nous, cela restait tout de même un peu louche.

C’est avec l’arrivée des années 1990 que le tatouage a commencé à se démocratiser, quelque peu.

À l’instar des piercings aux oreilles qui se sont multipliés (et ailleurs, comme au nombril), les tatouages ont commencé à faire leur apparition parmi nous. Surtout par l’entremise des tatouages tribaux, qui étaient perçus comme plus élégants que les têtes de mort ou autres tatouages morbides perçus (parfois à tort) comme étant signe de mauvaise vie ou fréquentation.

Mon deuxième contact avec le tatouage s’est donc déroulé à la toute fin de mon secondaire (Terminale en France).

On devait être, genre, en 1992. Avec une amie, Kathia, qui voulait se faire tatouer pour ses 18 ans et qui ne voulait pas y aller seule.

Dans la petite ville du Nouveau-Brunswick que j’habitais, il y avait à l’époque qu’une seule shop de tattoos. L’atelier était dans une cour arrière, pas bien éclairée. L’endroit tenait du cliché fini pour l’époque.

Et, surtout, le tatoueur était un grand gaillard très costaud, longue barbe, avec de grosses bagues plein les doigts, frôlant la caricature. Rien de rassurant pour les jeunes filles que nous étions.

Après quelques regards furtifs à travers la porte d’entrée légèrement entrouverte? Nous sommes entrées dans la boutique.

Il n’y avait personne…

On regarde sur les murs les différents designs. Des têtes de mort, des araignées, des roses avec des épines.

Heureusement, tout au fond, il y avait des modèles de tatouage tribaux.

Mon amie était fascinée pas ce « nouveau » type de tatouage, surtout ceux en bandeau qui ceinturait un bras, un poignet, ou encore une cheville.

C’est d’ailleurs à cet endroit qu’elle voulait se le faire faire.

On regarde les modèles et mon amie me demande : « veux-tu t’en faire tatouer un toi aussi »?

Je la regarde les yeux ronds.

« Es-tu malade! J’ai eu toute la misère du monde à faire accepter mes deuxièmes piercings sur mes oreilles à mes parents. Si je reviens avec un tattoo, je suis plus que morte… », lui répliquais-je.

« Et tu oublies que je n’ai pas encore 18 ans, MOI! ».

C’est alors que le tatoueur sort de l’arrière-boutique en faisant un de ces « hum! hum! » des plus caverneux.

« Comment puis-je vous aider », lança-t-il avec sa grosse voix.

C’est alors que j’ai vu la peur cavaler dans les yeux de mon amie.

« Euh… rien », répondit-elle sur un ton nerveux. « On faisait juste regarder ».

Elle prit ma main et on est sorties en prenant nos jambes à nos cous.

Les tatouages avaient beau commencer à être à la mode, c’était peut-être encore un peu trop underground pour les jeunes filles encore un peu trop straights, quoique intrépides, que nous étions à l’époque…

J’ai eu droit à un père assez ouvert esprit. Sauf pour tout ce qui aurait pu entrainer ses enfants dans la délinquance. Du moins, à ses yeux.

Si je n’ai pas pu aller jouer dans les arcades et me faire percer d’autres trous dans les oreilles avant l’âge de 16 ans, imaginez le reste! À ses yeux, se faire tatouer, c’était juste bon pour les « bums » et les « guedailles »[1].

On reste assez marquée par ce genre d’éducation.

Mais le tatouage s’est pointé dans ma vie, encore une fois, 3 ou 4 ans plus tard.

Cette fois-ci, c’était dans un environnement plus intime. Moins effrayant.

On est en 1996, je crois.

Un de mes très bons amis de l’époque, Michaël, m’annonce qu’il va se faire un tatouer un dessin d’amitié avec sa meilleure amie.

« Aweeeee, c’est dont ben cute », lui avais-je lancé.

« Oui, me répondit-il. Et en plus c’est un de nos amis qui vient de terminer sa formation de tatoueur qui va nous le faire. »

« J’aimerais que tu sois là, avec nous », insista-t-il.

Il n’eut pas à insister longtemps. J’étais bien trop curieuse de voir comment ça se faisait, un tatouage.

Le tattoo qu’il voulait était très beau. C’était une sorte de rose des vents stylisée, très colorée, qu’il avait lui-même dessinée, si je me souviens bien. Il voulait se le faire tatouer sur l’omoplate.

Avant de procéder, on l’a bombardé de mille et une questions. Comment fonctionne le pistolet? Les aiguilles, ça entre profondément dans la peau? L’encre, elle est faite avec quoi? Le tatouage, ça prend combien de temps à guérir? Ça reste beau longtemps?

Notre ami tatoueur était un homme de peu de mot et, surtout, très calme et très patient.

« Ce n’est pas un pistolet, c’est un dermographe », nous expliqua-t-il.

Il prit le temps de répondre à toutes nos questions. Ce n’est pas quelque chose qui te tenterait par hasard ? »

Je l’ai regardé les yeux grands comme des trente sous.

Et en me grattant quelque peu la tête, je lui répondis : « euf… ouais, peut-être… je ne sais pas… heuuuuu… »

La vérité, c’est que j’en mourrais d’envie.

Mais j’avais également la trouille. Les messages de mon père et les images des expériences passées se bousculaient dans ma tête.

« En fait, je ne sais pas ce que je me ferais tatouer », ai-je fini par lui répondre.

Et ceci aura été LE PROBLÈME des 20 années qui ont suivi et durant lesquelles j’ai hésité, bon an mal an, à me faire tatouer.

Qu’est-ce que je voudrais bien me faire tatouer? Surtout que les tatouages tribaux, encore bien à la mode, ne m’intéressaient guère…

Car, voyez-vous, si le tatouage a commencé à se démocratiser dans les années 1990, il fallait tout de même, si on s’y adonnait, y aller avec grande parcimonie.

Un tatouage (maximum deux!) c’était la norme des gens soi-disant biens et qui se « respectaient ». Et surtout pas trop gros! Dans un endroit discret de surcroit.

Avoir le corps couvert de tattoos, c’était encore, à l’époque, pour les gens de mauvaise famille et de mauvaise vie, disait-on…

Donc, je n’avais pas droit à l’erreur.

Si je me faisais tatouer, il fallait que ce soit le plus beau, le plus représentatif, le plus original, le plus… PARFAIT.

Me faire tatouer, c’était fermer une porte de ma vie définitivement. J’avais peur de le regretter. (Si vous avez lu mes billets de blogue précédents, vous savez à quel point fermer définitivement des portes est un enjeu et un défi pour moi! Vous le trouverez ici et ici.)

Ce qui n’a pas aidé, c’est que dans les années 1990, l’art du tatouage n’était pas aussi avancée et précise qu’aujourd’hui.

J’ai vu mon lot de tatouages ratés!

Du Gumby, qu’un de mes collègues étudiant avec moi au collège de Radio-télé s’est fait faire dans le dos (lequel ressemblait plus à une tache de vomi qu’au bonhomme vert de pâte-à-modeler), aux ailes d’anges mal foutues qu’une autre de mes amies s’est fait tatouer dans le dos, lesquelles ressemblaient plus à des queues de poule qu’à des ailes d’anges!

Devant tant d’hésitation et d’incapacité à fixer mon choix sur un design précis, j’ai rangé ce désir au plus profond de mon âme et je me suis mise à revendiquer mon droit au corps sans tatouage. Surtout qu’au cours des années 2000, où les corps tatoués ont commencé à se multiplier!

Plus les corps des femmes arboraient des tatouages et plus j’étais fière du mien qui n’en avait pas.

Qu’est-ce que notre égo ne dirait comme conneries par péché d’orgueil!

« Un jour, ça va être nous les bizarres, les rebelles. L’absence de tatouage sera à l’image de ce qu’étaient les tatoués autrefois : un gage d’indépendance d’esprit », me plaisais-je à qui voulait l’entendre.

Toutefois, les filles du site Suicide girls[2] continuaient à me titiller l’esprit.

Je trouvais ça très sexy.

De plus en plus, en fait. À mesure que la qualité des tatouages progressait.

Mais je le cachais, dans mon jardin secret. Je clamais alors à mes proches que je préférais les femmes vierges de tatouages. (Parfois, je m’entendais parler comme mon père! Haha!)

Puis, un jour, j’ai eu cette fréquentation, Annie, qui arborait beaucoup de tatouages. On aurait dit un album de bande-dessinée sur deux pattes!

Ça lui allait bien.

Quand j’étais au lit avec elle, je trouvais ça amusant. On était très loin des tatouages morbides de mon adolescence!

Mais toujours incapable de me décider.

Puis arrivèrent les années 2010.

Le tatouage est désormais PARTOUT.

Notre ami Philip se fait faire une manche complète.

Avec des pouliches.

Audacieux pour un gars!

Une belle manche qui sait si bien agencer les espaces de peau blanche et les tatouages qui sont une vraie œuvre d’art.

Là, mon ex et moi on se croit prêtes.

« On veut se faire tatouer un chaaaaaat! », aimions-nous dire.

Un petit tatouage de chat. Simple et stylisé.

On aurait toutes les deux le même.

Mais finalement, on n’a jamais été capable de s’entendre sur le design.

Elle, tout comme moi, on était encore dans cet esprit du tatouage parfait.

Fait qu’à défaut de s’entendre, on remettait ça.

Lorsque l’on a finalement mis fin à 13 ans de mariage, le projet est, bien entendu, tombé à l’eau…

Tout a finalement changé le jour où j’ai eu un énorme coup de foudre pour une femme tatouée.

TRÈS tatouée.

Genre, avec une manche complète sur un bras, un autre tatouage sur une main, de petits sur les doigts et quelques autres dans le dos.

Elle était si belle ma louve tatouée!

Pour la renarde, ça a été la fin des tergiversations.

En faisant l’amour quotidiennement à ce corps magnifiquement tatoué, toutes mes barrières sont tombées.

Tous mes messages issus d’un lointain passé, d’un autre millénaire s’en sont allés.

J’avais dans mon lit ma Suicide girl à moi.

La plus belle en plus!

Par sa passion pour les tatouages, elle a su me faire comprendre que se faire tatouer le corps, ce n’est pas fermer définitivement une porte derrière soi.

Contrairement à cette croyance que j’avais profondément engrangée dans mes neurones, se faire tatouer, ce n’est pas être prise avec une décision qu’on ne peut plus changer.

Se faire tatouer, au contraire, c’est évolutif, c’est un work in progress.

Surtout que (comme ça se dit dans les milieux de gens tatoués) généralement, une fois le premier fait, on en veut généralement d’autres!

Notre corps devient une œuvre d’art sur lequel chaque tatouage devient une sorte de note composant une belle symphonie.

J’ai été convaincue.

Pour mon premier tatouage, on s’est fait un tatouage de couple, lors de notre séjour ensemble à Paris. Le même dessin, un monogramme, en souvenir de ce voyage. (Je sais, on est vraiment quétaines, ou bien folles! haha!)

Julie et Émilie tattoos
En souvenir de notre séjour à Paris.

Depuis ce jour, je suis devenue une renarde tatouée.

Je suis enfin libérée de cette quête pour la perfection éternelle qui perdurerait dans le temps. La perfection, si elle existe, elle se vit dans le moment présent et reste gravé dans nos souvenirs (ou sur notre peau) jusqu’à la fin de nos jours.

©Kumiho’s stories – ou les 9 vies de Julie La Renarde – Tous droits réservés – MMXX

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* Adaptation libre de cette célèbre phrase de Molière dans sa pièce de théâtre Tartuffe: Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées.” Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)

[1] Bum, veut dire délinquant en langage familier québécois. Guedaille signifie une femme qui tente d’attirer l’attention pour de mauvaises raisons en s’habillant ou en portant des ornements de façon inappropriée.

[2] Site de photos érotiques présentant des filles sortant des standards corporels et généralement tatouées.

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