Le 30 octobre 1995, je pleurais mon pays qui n’est pas venu au monde.
Ce soir-là, on a vu le pays du Québec se faire avorter à sa 40e semaine de gestation. On s’attendait à un accouchement d’un nouveau-né en pleine santé, on s’attendait à fêter la venue au monde de ce nouveau bébé.
Si en mai 1980, on a plutôt eu affaire à une fausse couche, en octobre 1995, c’est à un bébé mort-né que l’on a eu droit.
Le drame.
À peine 54 288 votes séparaient les deux options. Pour le camp du Oui, il ne manquait que 27 144 votes pour obtenir le 50% + 1. Ce n’est que 200 votes pour le Oui par circonscription électorale qu’il manquait pour obtenir un pays.
Le lendemain, si Le Devoir titrait « Un Québec divisé », le titre du Journal de Québec était encore plus révélateur, voire prophétique en y allant d’un : « Rien de réglé ».
En 2020, il n’y a effectivement encore rien de réglé.
…..
J’ai, dans une boîte poussiéreuse au sous-sol, tous les exemplaires des journaux du 31 octobre 1995.
À chaque déménagement, quand je fais le tour de mes vieilles boîtes pour voir s’il y a de vieux trucs dont je pourrais me débarrasser, je retombe inévitablement sur ces vieux journaux, pas encore trop jaunis par le passage du temps.
Chaque fois, j’ai le motton dans la gorge.
Chaque fois, je revis l’événement dans ma tête comme si c’était hier.
Quand un événement dramatique, style attentats du 11 septembre 2001 survient, on se souvient de l’endroit où nous étions lors que l’on apprend la nouvelle, et nous avons des souvenirs très clairs de ce que nous faisions.
Dans le cas du référendum de 1995, c’est tout le mois de la campagne référendaire que je revis ainsi.
C’est toute l’exaltation, au quotidien, comme quoi nous voguions vers l’indépendance, vers l’affirmation de notre maturité en tant que peuple, que je revis dans mes souvenirs.
En 1995, j’ai cru, comme bien d’autres, que le Québec était rendu adulte. Comme moi, qui venais de fêter mes 21 ans et qui avais quitté le nid familial, je croyais que le Québec ferait de même et volerait enfin de ses propres ailes.
On a dit ces dernières années que la souveraineté n’était le projet que d’une génération, celle des baby-boomers.
C’est faux.
À l’époque, nous avions confiance que la souveraineté allait se produire. D’année en année, les jeunes, nouveaux électeurs, étaient très majoritairement en faveur de faire du Québec un pays.
Et moi qui suis à la frontière entre la Génération X (1960-1975) et des Milléniaux (1975-1990), j’en étais.
J’étais étudiante à l’Université Laval et j’ai milité sur le campus avec les jeunes souverainistes.
Nous étions nombreux.
Très nombreux!
Plus nombreux, et de loin, que les étudiants fédéralistes pour le Non.
Le mois d’octobre avait été des plus enlevant pour la représentante de la jeune génération que j’étais.
Je me souviens d’avoir participé à plusieurs rassemblements souverainistes.
Je me souviens plus particulièrement d’une très longue marche dans les rues de Québec à laquelle j’avais pris part avec mon frère et mes amis.
L’accueil avec été très chaud tout au long du parcours.
On sentait que le vent était de notre bord. On sentait que le navire pourrait enfin prendre le large!
Je me souviens très clairement de l’annonce de la coalition souverainiste PQ-ADQ-Bloc. Je me souviens tout aussi bien de l’annonce comme quoi Lucien Bouchard serait le négociateur en chef. Je me souviens du grand rassemblement à Québec, au cours duquel j’ai eu la chance de voir en personne les trois chefs Parizeau-Dumont-Bouchard s’adressant à une foule galvanisée.
Et que dire des belles affiches de campagne. Très colorées, jeunes dynamiques, axées vers l’avenir. On se les arrachait!
« Oui, et ça devient possible », qu’elles disaient ces affiches.
On y croyait!
Vraiment.
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Je me souviens très clairement de la journée du 30 octobre. Cette journée compte parmi les plus longues de ma vie.
Moi qui suis loin d’être matinale, je me souviens m’être levée tôt pour aller voter, avec mes amis. Je me souviens très bien m’être dit que ce serait le dernier vote que j’exercerais au sein de la fédération canadienne.
En déposant mon bulletin de vote dans l’urne, je votais pour la liberté.
Tout un feeling!
En cette belle journée ensoleillée du 30 octobre, malgré les sondages qui prédisaient un résultat serré, j’avais bon espoir que l’engouement pour la liberté l’emporterait sur la peur d’un divorce compliqué.
J’y croyais d’autant plus que j’avais réussi à convaincre mon grand-père qui avait voté rouge toute sa vie de me donner un pays, de me laisser un si bel héritage.
Si j’avais pu convaincre mon grand-père de voter oui, j’imaginais que bien d’autres personnes âgées se décideraient dernière minute à offrir un tel cadeau à leurs petits-enfants.
Je me souviens encore plus clairement du méga rassemblement souverainiste au Colisée de Québec pour assister au dépouillement du vote.
Le Colisée était plein, à craquer. L’atmosphère était totalement exaltée, semblable à ce qu’on pouvait observer lors des parties des défunts Nordiques à domicile.
Au moment où mes amis et moi pénétrions dans l’enceinte, les premiers votes provenant des Îles-de-la-Madeleine indiquaient une nette tendance en faveur du oui.
Ça criait de partout : « On va gagner! ».
Comme lorsque l’équipe locale mène 5 à 2 en fin de 3e période.
Dans la première heure de la soirée référendaire, le Oui était nettement en avance.
On sentait les frissons de joie nous donner la chair de poule.
Et puis, je me souviens très bien du moment où l’on a réalisé, à mesure que Radio-Canada faisait le tour des circonscriptions, que le vote de Montréal commençait à peine être compté.
Tranquillement, nous avons observé l’avance du Oui se réduire tranquillement.
Un cinéaste n’aurait pas pu concevoir un scénario plus dramatique…
Quand le oui est passé sous la barre du 50%, ce fut la douche froide.
En fait, on n’y croyait pas.
C’était comme un mauvais rêve.
Il y a une heure, nous étions en train de gagner, non?
Le clou dans le cercueil a été la fameuse phrase de Bernard Derome : « si la tendance se maintient… »
Les jeux étaient faits. Et le pire scénario est survenu.
Pas étonnant que le sentiment de s’être fait voler nous est longtemps resté dans la gorge.
Un tel dépouillement nous a donné l’impression d’avoir perdu dans le dernier tournant, de nous être fait dépasser dans la dernière ligne droite, juste avant le fil d’arrivée.
Ou encore, comme l’a analysé récemment Jean-François Lisée qui était alors conseillé du Premier ministre, c’est comme perdre en supplémentaire.
D’où probablement la frustration derrière la fameuse phrase de Jacques Parizeau sur « l’argent et les votes ethniques ».
Dit autrement, face à notre bébé, plusieurs ont eu l’impression qu’un médecin clandestin sans scrupule avait abusé de ses pouvoirs et avait réussi tuer le bébé pour en faire un mort-né, que l’on a dû sortir avec forceps et douleur du ventre de la mère.
…..
Je crois encore aujourd’hui que c’est une grave erreur d’analyse.
De l’avoir exprimé tel que Parizeau l’a fait, cela a complètement miné le rapport de force au sein de la fédération canadienne que le Québec pouvait avoir acquis malgré la défaite.
Quand on accuse les autres d’avoir magouillé notre défaite et souligne notre incapacité à rallier à notre cause des groupes minoritaires, on avoue au passage notre faiblesse de ne pas avoir été capable de réussir, malgré tout l’effort investi.
La pression s’est donc plutôt tournée vers Québec (qui paraissait très mal d’avoir tenu un tel discours) que vers Ottawa (qui aurait dû sentir l’urgence d’agir et de proposer une nouvelle alliance avec le peuple québécois).
Il n’était plus possible à l’époque de « se cracher dans les mains et de recommencer », comme l’aurait souhaiter le premier ministre.
Oui, le fédéral a triché.
Oui le fédéral a caché des dépenses électorales en finançant bon nombre d’OBNL créés pour la campagne électorale.
Oui le fameux « Love in » à Montréal étaient des dépenses électorales illégales.
Mais n’empêche, c’est nous les souverainistes, qui n’avons pas été en mesure de mobiliser davantage le peuple québécois.
C’est nous, les Québécois et Québécoises de toutes origines, qui n’avons pas été en mesure de démontrer à quel point nous étions unis, forts, solides, et capables de nous émanciper collectivement.
En accusant l’autre de sa défaite, difficile de le réconcilier et qu’il accepte d’être de «notre bord » lors d’un éventuel troisième essai, mettons…
……….
S’il y a bien quelque chose que j’ai apprise de mes études en science politique, c’est que le pouvoir, ce n’est pas quelque chose que l’on demande gentiment.
Le pouvoir, ce n’est pas quelque chose qui nous est offert sur un plateau d’argent.
En politique, et surtout en ce qui concerne les questions de souveraineté et de relations internationales, le pouvoir, ça se prend. Et pour le prendre, il faut que le rapport de force soit nettement en notre faveur.
Il n’y a pas d’arbitre pour nous dire que nous méritons d’être souverains parce que nous sommes valeureux ou vertueux, ou beeeen gentils, comme on aime bien se l’imaginer.
On nous regardera et accueillera comme une nation souveraine quand nous aurons démontré notre force et capacité à l’être, bref capable d’établir un réel rapport de force. Et en démocratie, c’est d’aller chercher au moins 50% + 1 des votes, et encore mieux, aller cherche le plus de votes pour le Oui possible au-delà cette marque.
Mais lorsque l’on regarde la carte électorale de l’époque. Là où le bât blesse, c’est quand l’on observe les résultats de la Capitale nationale où le Oui est passé de justesse. Et il y a une des circonscriptions de la ville de Québec qui a même voté Non…
Si une capitale nationale ne se voit pas plus que ça à la tête d’un pays, comment peut-on y arriver?
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