Je suis à Nantes, en Bretagne. C’est la première journée vraiment chaude depuis mon arrivée en France, il y a deux mois. Il fait 26 degrés.
Je suis assise dans la cuisine de cette maison pluricentenaire aux planchers qui craquent sous le poids des années qui filent.
Je suis devant mon écran d’ordinateur, et je suis à la recherche d’un sujet pour ce billet.
J’entends les oiseaux à l’extérieur, et la mouche qui entre par le fenêtre qui donne sur le jardin.
Je sens le temps ralentir autour de moi.
Et soudain, j’entends ce bruit.
Tic… Tac…
Et encore!
Tic… Tac…
C’est le bruit de l’horloge ancienne qui orne le mur de la pièce. C’est une très vieille horloge. Comme je les aime, avec des chiffres romains et qui semble dater du début du siècle précédent.
Pendant que je rédige ces mots, je l’entends encore.
Tic… Tac…
C’est le temps qui passe.
C’est le moyen que l’humain a trouvé pour être en mesure de prendre pleinement conscience du temps qui passe.
Tic… Tac…
J’en suis déjà à 140 mots et j’ai mis un bon 7 minutes et trois quarts, soit 450 tic tac au moins, à vous pondre ceci.
Le temps passe vite. On le sait. On le dit. On le répète. Encore et encore.
Pourtant, on oublie que le temps passe vite par moment.
Quand je suis à mon téléphone en train de scroller mon fil d’actualité Facebook ou Instagram, je me dis que j’en perds beaucoup de temps.
Combien de temps a-t-on perdu dans la vie cause de vilains réseaux sociaux?
Beaucoup plus que l’on est certainement capable de le calculer. Si tu me demandes : « Combien de temps passes-tu sur ces bidules ? ».
Ma réponse sera probablement la même que pour beaucoup d’entre vous : « beaucoup trop ».
Si je réponds cela, c’est parce que je trouve que je passe beaucoup trop de temps à ne « rien faire ». Je passe trop de temps à regarder des photos, à lire des commentaires, à rédiger des réponses…
STOP!
La vraie question ici est : est-ce que l’on « perd » réellement TROP de temps sur les médias sociaux?
Avant les réseaux sociaux, la plainte, elle était envers internet.
Puis avant internet, on se plaignait de passer trop de temps devant la télévision.
Et avant la télévision, c’était quoi?
Passer trop de temps à écouter la radio?
Et avant la radio, à parler au téléphone?
Et avant, avant, avant, à lire le journal?
À lire des livres?
Et avant le livre, c’était quoi? Le commérage? Les soirées à la taverne ou dans les cercles de fermières ou salons de thé?
Ou si c’était tout simplement la diffusion d’information? L’échange entre êtres humains?
Si derrière tout ça, ce n’est pas qu’un des besoins essentiels de l’être humain ne ressentait-il tout simplement pas juste le besoin de communiquer? D’échanger? De faire partie d’un groupe?
Je pense que c’est un peu ça au fond.
L’être humain a besoin de communiquer avec ses semblables. De s’informer de ce qui se passe autour de lui. Ici, ailleurs.
Quelle était une des pires punitions dans les temps anciens pour quelqu’un qui ne se comportait pas bien au sein de son clan?
L’exil forcé.
Aujourd’hui, en prison, la pire chose qui t’arrive, c’est de te retrouver en cellule d’isolation.
L’humain, sans contact avec ses pairs, il déprime. Il se sent inexistant.
Alors il y passe un temps fou!
Probablement pour échapper à la vie moderne qui a tendance à continuellement nous séparer des uns des autres par les rythmes de fou qu’elle nous demande.
Mais ce qui a probablement changé depuis l’époque des tavernes, et qui fait que l’on peut passer un nombre de minutes, voire d’heures illimitées sur les réseaux sociaux, c’est que l’information qu’y si trouve n’a plus de fin. On a atteint une sorte d’infini communicationnel.
Avant, il y avait une fin. Quand tu étais rendue à la dernière page de ton livre ou du journal. C’était fini. Tu devais passer à autre chose. Soit tendre la main vers un autre bouquin, ou bien attendre le camelot te livre le journal du lendemain.
Avec la télé, ça a commencé à changer. Tu pouvais y passer la journée, mais les chaines arrêtaient de diffuser la nuit.
Jusqu’à l’avènement du câble. Les chaines sont arrivées à diffuser 24h/24h. Avec la télécommande à distance, il était possible de zapper à l’infini. Comme on le fait aujourd’hui en scrollant sur Facebook.
Mais il y avait encore une barrière. Tu ne pouvais pas trainer ton poste de télé partout. Si tu avais à sortir, tu devais arrêter. Si tu allais au dépanneur t’acheter un carton de lait, tu mettais la télé de côté.
Si tu n’allais qu’aux toilettes, tu devais également arrêter!
Tu ne pouvais pas trainer ta télé en classe ou au boulot.
IL Y AVAIT UNE FIN!
Je pense que c’est ça le problème avec les réseaux sociaux et les téléphones nommés malencontreusement « d’intelligent ».
IL N’Y A PLUS DE FIN!
Nous avons enfin, pour le meilleur et pour le pire, atteint une certaine forme d’éternité. D’infinitude. On peut trainer nos téléphones partout?
N’est-ce pas?
Si tu vas aux toilettes, tu peux rester connecté.
Tu peux communiquer tout en faisant tes petits besoins!
N’est-ce pas merveilleux?
Tout ce que j’ai décrit plus haut : lire un livre, lire le journal, écouter la radio, écouter la télé, aller sur internet, et sur les réseaux sociaux, maintenant tu peux le faire tout en faisant tes petits besoins.
N‘est-ce pas fabuleux?
Je ne savais pas comment terminer ce billet. Et il me restait encore à écouter le dernier épisode de cette fabuleuse série que j’adore : Black Mirror.
Je ne devais qu’en écouter qu’une quinzaine de minutes, en soupant.
L’épisode, c’est « Smithereens ».
Mais je n’ai pas été capable d’arrêter. Coïncidence ou pas, il traitait exactement du même sujet que ce billet de blogue. Cet épisode se penche sur l’utilisation à l’excès des médias sociaux et la réflexion qui doit entourer ces abus.
Je ne volerai pas le punch de ce très bon épisode qui, contrairement aux autres, ne nous projette pas dans le futur, mais nous présente à froid la situation actuelle.
En le visionnant, j’en suis venu à la conclusion suivante.
Ce qui est fabuleux avec ce flux incessant d’information, c’est que ça nous force à être enfin adultes.
Ça nous incite à mettre nous-mêmes nos limites et nous dire d’arrêter quand c’est assez.
Ça nous incite à prendre le contrôle de nos vies pour ne pas le perdre.
En sommes-nous capables?
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